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Jean-Charles Simon : « L’attractivité de la place financière parisienne va au-delà du Brexit et s’appuie sur des facteurs structurels »

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L’attractivité de la place financière parisienne ne cesse de progresser ces dernières années. Paris apparaît comme la cinquième place financière au monde et la première au sein de l’Union européenne dans un classement de 2023. Voté en 2016, le Brexit et ses conséquences ont participé à la délocalisation de groupes financiers vers Paris. Mais la capitale française fait aussi valoir des facteurs structurels d’attractivité à destination des acteurs de la finance mondiale. C’est le rôle de Paris Europlace qui représente près de 600 entreprises et organisations engagées dans le secteur financier parisien. Son délégué général, Jean-Charles Simon revient sur l’attractivité de la place financière parisienne, analyse la conjoncture actuelle et décrypte les enjeux de l’année 2024 notamment à propos du marché unique des capitaux au sein de l’Union européenne. Entretien.

Actu-Juridique : Quel bilan global faites-vous de l’année 2023 pour la place financière de Paris ?

Jean-Charles Simon : L’année 2023 a été marquée par une bonne dynamique de croissance de la place financière de Paris. Nous avons constaté un développement des activités financières dans l’ensemble de l’écosystème. Cette évolution s’inscrit dans le dynamisme de ces dernières années. Entre 2017 et 2022, il y a eu une hausse de 20 000 emplois dans le secteur financier parisien. Au total, nous comptons 350 000 emplois en Île-de-France, dont 160 000 dans la capitale. C’est le signe du développement de la place financière parisienne qui est devenue une référence au sein de l’Union européenne. Ensuite, certaines activités financières ont été plus ou moins porteuses en 2023. Depuis la remontée des taux d’intérêt des banques centrales, il y a des activités qui souffrent un peu plus. C’est le cas pour les fusions-acquisitions (M & A). De son côté, le private equity a ralenti. Enfin, l’univers des introductions en Bourse est assez sinistré.

AJ : D’après le classement Open Financier Ecosystem Index (Ofex) publié en fin d’année 2023, la place financière de Paris se classe à la cinquième place du classement mondial. C’est une position historique pour la finance parisienne et française ?

Jean-Charles Simon : Ce classement de l’Ofex était très attendu avec une méthodologie avancée et très travaillée par deux centres de recherche : l’Institut Louis Bachelier de Paris et le Center for financial studies de Francfort. C’est le reflet de ce que nous constatons sur la force de la place parisienne. C’est symbolique mais notre capitalisation boursière est passée devant celle de Londres, notamment avec les effets de change entre la livre et l’euro. Il y a aussi des mouvements symboliques. Par exemple, quand la banque britannique Barclays déplace son siège de l’Union européenne de Dublin à Paris, ce n’est pas anodin.

AJ : Comment expliquez-vous l’attractivité de la place financière de Paris ?

Jean-Charles Simon : L’attractivité de la place financière de Paris devient de plus en plus structurelle. Nous avons une capacité d’attraction notamment à travers notre capacité à former des talents. L’univers de l’enseignement supérieur en Île-de-France est sans équivalent en Europe. Il y a une progression des établissements franciliens dans les classements mondiaux, comme avec Paris-Saclay. Trois des cinq premiers masters en management au monde, d’après le Financial Times, sont en région parisienne ! Et les écoles de commerce d’autres régions ont ouvert des campus en Île-de-France.

Nous avons une capacité de formation importante et efficace dans des métiers directement ou indirectement impliqués dans la finance, comme la tech, les mathématiques, l’ingénierie. Morgan Stanley a décidé d’implanter son centre de recherche et développement mondial à Paris. Cette banque américaine trouve un public formé à la hauteur de ses attentes. Ensuite, il y a une concentration de grands groupes et donc de clients pour les acteurs financiers au sein de la région Île-de-France, là aussi sans équivalent dans l’Union européenne. 38 sociétés du CAC 40 sont installées sur le territoire francilien. Enfin, notre position géographique dans l’Europe de l’Ouest est aussi un élément d’attractivité. Nous sommes la seule métropole qui est d’une taille équivalente à celle de Londres dans l’UE.

AJ : Le développement de la place financière de Paris ne découle donc pas uniquement du Brexit et de ses conséquences ?

Jean-Charles Simon : C’est un facteur, dans un contexte structurellement favorable. De manière générale, au-delà du phénomène conjoncturel du Brexit, nous restons très ambitieux sur la poursuite du développement de la place financière de Paris. Il y a un potentiel de croissance qui est fort. Effectivement, la relocalisation d’emplois de Londres à Paris suite au Brexit est importante. D’après une étude de Choose Paris Region, au moins 5 500 emplois parisiens ont été générés par le Brexit. Mais il y a surtout un effet boule de neige qui s’inscrit dans une dynamique structurelle. Si une place financière se développe, elle concentre des atouts qui renforcent son attractivité et attirent de nouvelles entreprises. Quand le fonds souverain de Singapour Temasek choisit Paris pour son quartier général européen, c’est un signal qui n’est pas lié au Brexit mais aux atouts structurels que j’ai mentionné.

AJ : Le CAC 40 a battu plusieurs records en 2023 et en ce début d’année 2024. Comment expliquez-vous cette poursuite de la dynamique boursière malgré les incertitudes économiques ?

Jean-Charles Simon : Cette évolution s’inscrit dans une dynamique mondiale dans laquelle les marchés d’actions sont à des niveaux très élevés. En revanche, le CAC 40 ne représente pas forcément la vie économique française. Les grands groupes français réalisent près de 75 % de leur chiffre d’affaires à l’étranger, d’après l’Association française des entreprises privées (Afep). Ces entreprises sont totalement mondiales et ne sont pas forcément représentatives de la croissance de l’économie en France. Ensuite, la composition structurelle du CAC 40 a été bénéfique à l’indice français car les secteurs représentés se sont révélés porteurs, à l’image de l’aéronautique, du luxe ou encore des technologies. Les niveaux records de l’indice représentent d’abord la réussite de ces groupes français. Mais ces évolutions impliquent qu’il faut un écosystème financier de qualité et avec la plus grande profondeur possible pour accompagner le développement de ces groupes. Finalement, c’est un cercle vertueux pour le renforcement de la place financière de Paris, qui permet en retour un accompagnement solide des groupes du CAC 40.

AJ : Comment évolue l’investissement des Français et des Françaises sur les marchés à actions ?

Jean-Charles Simon : Nous constatons un phénomène encore limité sur le stock mais très favorable aux unités de compte dans les flux d’assurance-vie. Donc pour partie en faveur des marchés des actions. En revanche, il existe un sujet de préoccupation pour les acteurs de la place financière de Paris. Il y a un effet de concentration sur les grandes valeurs au détriment des small et mid caps (valorisation d’une entreprise inférieure à 2 mds€ ou allant jusqu’à 10 mds€). Cette faiblesse des flux de capitaux et de l’épargne des Français vers ces sociétés nous préoccupe. C’est d’ailleurs le même constat partout en Europe. Les entreprises de taille intermédiaire et les PME cotées en Bourse n’attirent pas assez de capitaux. C’est préoccupant car le continuum de financement entre le coté et le non coté est indispensable. Ces sociétés doivent pouvoir entrer en Bourse, et y prospérer, avec des valorisations favorables et de la liquidité.

AJ : Comment expliquez-vous cette tendance que vous qualifiez de préoccupante ?

Jean-Charles Simon : Globalement, les Européens ne placent pas suffisamment d’argent dans les marchés d’actions et à la hauteur des besoins de l’économie européenne. Le taux d’épargne des Européens est très élevé, mais les actions n’en bénéficient pas assez. Les produits financiers privilégiés sont ceux sans risques, garantis et liquides. Beaucoup d’argent reste dans les dépôts à vue ou vont dans les livrets réglementés, les livrets bancaires ou des produits monétaires à court terme. Enfin, l’encours de l’assurance-vie reste encore largement dominé par les fonds en euro, même si les unités de compte ont progressé ces dernières années. Il y a aussi peut-être des questions plus fondamentales. Nous souffrons de ne pas avoir assez de retraites par capitalisation dans la plupart des pays européens comparativement aux marchés britanniques et américains. L’alimentation des marchés actions small et mid caps est donc faible à cause de cette culture financière européenne et de certaines réglementations.

AJ : La chute des introductions en Bourse (IPO) en 2023 s’explique-t-elle par ce phénomène ?

Jean-Charles Simon : Effectivement, il n’y a pas assez d’investisseurs au rendez-vous des IPO pour motiver les sociétés à choisir la Bourse. Un certain nombre d’entreprises peuvent être tentées d’aller directement en dehors de l’Europe, par exemple aux États-Unis au sein du Nasdaq. La situation conjoncturelle avec des taux très bas, quasiment nuls, a engendré un afflux de capitaux dans le non coté pendant une décennie. En conséquence, les valorisations des entreprises sont montées très haut ces dernières années dans ce secteur. Et par conséquent, il y a probablement un écart entre les valorisations des derniers tours de table du private equity et les valorisations envisageables pour une entrée en bourse à l’heure actuelle. La chute des IPO est mondiale du fait de la situation conjoncturelle et du revirement des politiques monétaires des banques centrales.

AJ : Quelles solutions préconisez-vous au sein de l’organisation Paris Europlace ?

Jean-Charles Simon : Dans le cadre d’un rapport en 2021, nous préconisions d’inscrire dans la loi la possibilité de créer des actions de préférence à droit de vote multiple dans le cadre d’une introduction en Bourse. Beaucoup de fondateurs d’entreprise souhaiteraient l’instauration de cette mesure. Aujourd’hui, ce dispositif est déjà en place à Amsterdam et va le devenir à Francfort. La France a un déficit de compétitivité sur ce point-là par rapport à ses partenaires européens.

L’idée serait d’instaurer cette mesure en France, mais en l’encadrant. Des acteurs de la place financière parisienne demandent en effet un encadrement assez fort car nous restons attachés au principe général une action-une voix. Il s’agirait donc de plafonner ces droits de vote multiples dans la durée et avec un multiple maximum. Ces actions de préférence à droit de vote multiple sont destinées aux actionnaires de la société avant son introduction en Bourse. L’idée est de permettre à certains actionnaires, notamment le fondateur, de garder un contrôle managérial de l’entreprise malgré la dilution résultant de l’introduction en Bourse. En revanche, dans notre proposition, ces actions redeviennent ordinaires au moment de leur cession.

AJ : Quel regard avez-vous sur les perspectives de l’année 2024 ?

Jean-Charles Simon : Les acteurs du marché prévoient globalement un moment d’inflexion en matière de politique monétaire durant l’année 2024. Il ne devrait pas y avoir une nouvelle hausse des taux, mais au contraire le début de la baisse est attendu. Cela correspond au discours officiel des banques centrales. Si ce scénario est confirmé, le contexte pourrait redevenir favorable pour les fusions-acquisitions, les introductions en Bourse ou les deals de private equity. Les marchés ont déjà intégré une baisse des taux en 2024. Chaque banque a ses prévisions. La question sera de savoir si la réalité est déceptive. Ensuite, le risque géopolitique représente un aléa considérable pour les évolutions globales de l’activité économique. Enfin, la prise en compte d’un ralentissement de l’économie européenne et asiatique reste un sujet de vigilance.

AJ : En 2024 il y a aussi des élections européennes. La question d’un marché unique des capitaux est toujours d’actualité. Quel est votre sentiment sur la progression de ce sujet au sein des institutions européennes ?

Jean-Charles Simon : Pour Paris Europlace, progresser vers une véritable union des marchés des capitaux en Europe est une priorité. C’est un enjeu majeur pour l’autonomie stratégique désormais revendiquée par l’Union européenne. Nous allons beaucoup en parler cette année dans la perspective des élections européennes du mois de juin 2024. Nous sommes satisfaits de la mission d’Enrico Letta, lancée par le Conseil européen sur l’approfondissement du marché unique et l’union des marchés de capitaux. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire a également mandaté Christian Noyer pour une mission sur ce même sujet. Les enjeux de financement de l’économie européenne sont considérables, en particulier avec les besoins créés par la transition énergétique. Un marché européen unique des capitaux est donc nécessaire. Si l’Europe veut être souveraine dans son financement, son secteur financier doit être le plus compétitif et fonctionner le mieux possible. Aujourd’hui, nous sommes encore dans une juxtaposition de marchés nationaux. Il faut essayer de converger sur les grands sujets, mais nous sommes pragmatiques. Nous devons nous concentrer surtout sur des mesures concrètes à court terme pour faire progresser la finance européenne, comme avec un produit d’épargne européen qui serait une avancée intéressante même s’il est au départ limité à quelques États européens.


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